Je n’avais pas prévu de jouer à l’oiseau de mauvais augure pour ce premier billet de 2025. Mais Mark Zuckerberg en a décidé autrement en s’alignant derrière la ligne politique de son futur président. Petit rappel : le CEO de Meta (quatre milliards d’utilisateurs) a annoncé vouloir revenir à la mission initiale de son groupe - donner une voix aux utilisateurs. Au programme : suppression des fact-checkers traditionnels pour les remplacer par des « notes communautaires » ; réintroduction progressive du contenu politique ; et accusation de censure par le gouvernement Biden des contenus « réels » sur les effets secondaires du vaccin Covid. Aux orties la différence entre corrélation et causalité.
La santé risque malheureusement de faire les frais de ces évolutions post-vérité compatibles. Car comme l’écrit The Lancet dans son éditorial du 18 janvier, nous vivons dans un monde où « la désinformation est devenue un instrument délibéré pour attaquer et discréditer les scientifiques et les professionnels de la santé à des fins politiques ».
Fact-checking ou « notes communautaires », kesako ?
Le fact-checking, en bon français, vérifie les faits. Professionnalisé depuis cinq à dix ans, il est souvent affilié à des rédactions ou agences de presse, et doté de codes de bonnes pratiques. Axé initialement sur l’actualité et la politique, la crise Covid-19 a mis en lumière son importance pour vérifier l’adéquation des contenus publiés avec l’état actuel de la science. Le système n’est pas parfait, mais dans l’ensemble, la modération par des fact-checkers professionnels a aidé à limiter la diffusion de mésinformation sanitaire sur les réseaux.
Le système « notes communautaires », lui, s’appuie sur les commentaires de membres de la communauté. Par exemple, X laisse le soin au contributeur lambda de signaler les contenus jugés faux ou trompeurs en ajoutant une note explicative. Objectif affiché : permettre à la communauté de s’impliquer dans la vérification des faits.
Vérifier des contenus en rapport avec la santé demande un niveau élevé de compréhension de la méthode scientifique
La science, une opinion comme les autres ?
X a limité l’accès à ses données pour les chercheurs, freinant l’évaluation de l’efficacité des notes communautaires. Les résultats récents de Chuai et al (1) montrent une augmentation du volume de vérifications, mais sans aucun signe de diminution d’engagement avec la mésinformation. Les chercheurs indiquent également que les notes communautaires pourraient être trop lentes pour réduire efficacement l'engagement avec les mésinformations dans la phase initiale (et la plus virale) de la diffusion de l’information.
Soyons réalistes : vérifier des contenus en rapport avec la santé demande un niveau élevé de compréhension de la méthode scientifique et des dynamiques d’élaboration de consensus. Si engager les membres de la communauté dans la vérification peut être vertueux pour aiguiser leur esprit critique, l’arrêt de la modération professionnelle du contenu médical et scientifique va ouvrir la porte à une foire encore plus débridée des opinions sur les résultats scientifiques. Et finalement à une probable exposition croissante des internautes à des contenus trompeurs ou faux.
Prendre les devants avant l’impact
Rappelons trois choses : 75 % des gens cherchent d’abord en ligne lorsqu’ils ont une question de santé ; les frontières sur internet sont poreuses avec beaucoup de partage via messageries privées ; et la mésinformation sur les réseaux sociaux a atteint près de 51 % des messages liés aux vaccins et jusqu'à 60 % des messages liés aux pandémies (2). Sans parler de l’IA générative connectée au web, peu transparente en matière de sources.
Pas de doute donc : il est temps de se préparer sérieusement à l’arrivée en masse de fake news venant alimenter un scepticisme scientifique déjà croissant.
Chacun peut agir à son niveau.
Les soignants restent des sources de références des Français. Voici quelques pistes d’actions pour capitaliser sur cette confiance. Réapprendre à parler de science en retravaillant épistémologie et lecture critique d’articles. Le suivi du MOOC d’éducation aux médias et à l’information de l’Unesco (3) est plus que conseillé. Engager la discussion avec les patients sur comment bien s’informer sur leur santé est plus que jamais pertinent. Conseillez-leur les jeux Cranky Uncle ou Go Viral sur les tactiques de désinformation. Et au sein du collectif Femmes de santé, nous avons monté un groupe de travail « Mésinformation et infodémie » pour produire des recommandations : partage prévu en fin d’année !
(1) Did the Roll-Out of Community Notes Reduce Engagement With Misinformation on X/Twitter?, ACM Journals, Vol.8, No. CSCW2
(2) Infodemics and misinformation negatively affect people’s health behaviours, new WHO review finds, WHO EURO
(3) https://www.unesco.org/mil4teachers/fr/curriculum
C’est vous qui le dites
« Les libéraux contraints de travailler 55h par semaine pour s’en sortir »
Tribune
« Comment soigner les humains sans blesser la planète »
Pour sauver le système de santé, bienvenue à « la foire à la saucisse »
Éditorial
Ne pas sacrifier la recherche